Platon

Platon, la République livre 6, l'analogie du bien et du soleil et le début du sectionnement de la ligne. Commenté par monsieur l'abbé Oscar Néri, le 17 novembre 2018

Les platoniciens comme J.F. Mattéi appellent cette partie du livre VI et VII : la grande marche dialectique de Platon. C'est-à-dire l'analogie du Bien et du Soleil, le sectionnement de la ligne et le mythe de la Caverne.

1. 

Platon - la République - livre VI - l’analogie Bien/Soleil

Commenté par monsieur l’abbé Néri le 17 novembre 2018)

Résumé

Le soleil éclaire les objets visibles ; le bien, les objets intelligibles 508 c
les quatre objets de connaissance et les quatre opérations de l’esprit 510 a

Introduction

l’abbé Néri rappelle les premières notions sur l’analogie du bien et du soleil

Nous allons reprendre au 508 c, page 268 du Cousin.

Pour reprendre le fil, l’explication par une forme de détour, une explication, non pas de ce que le Bien est en lui-même, mais par une métaphore expliquée que Socrate appelle le fils du Dieu, du Soleil, et donc c’est cette métaphore que nous allons développer aujourd’hui.

Et bien dit Socrate, apprends-le, c’est le soleil que je veux dire quand je parle de la production du bien. Le fils a une parfaite analogie avec le père, ce que le bien est dans la sphère intelligible par rapport à l’intelligence et à ses objets, dans la sphère visible par rapport à la vue et à ses objets.

Choix de traduction

le choix du mot « sphère » par rapport à « domaine », parce la sphère représente une totalité ; un centre et une périphérie nulle part.

abbé Néri — notez plusieurs choses au passage, pour que l’explication soit plus facile à suivre. On fait une comparaison entre les sphères intelligibles et les sphères visibles. Si on prend le terme sphère, c’est dans un sens métaphorique pour parler d’un aspect, parce que le terme domaine, aussi, a un sens métaphorique, mais plus direct parce qu’il concerne quelque chose qui est facilement employé pour désigner autre chose que ce qui concerne ce qui est matériel. Sphère, c’est peut-être un choix qui est la conséquence d’une manière de considérer la totalité d’une réalité, et le moyen graphique de représenter un ensemble de cette nature est justement une sphère, ce qui explique l’emploi de ce terme, c’est vraiment pour dessiner un domaine, un ensemble qui comprend une totalité, c’est pour cela qu’il y a l’image des sphères. Donc pour exprimer cette idée que ce dont on parle concerne toutes les réalités qui sont comprises dans cet ensemble. Les sphères intelligibles concernent toutes les réalités intelligibles, les sphères visibles, toutes les réalités visibles. C’est une manière d’exprimer la totalité, c’est important à retenir. Il y a une comparaison entre ces deux ordres de réalité : par exemple on fait une distinction entre l’ordre spirituel et l’ordre temporel, ce sont deux domaines différents.

Analogie du bien et du soleil

le soleil qualifié de rejeton du bien par Platon.

Alors que le soleil est aux objets dans le domaine visible, l’idée du bien l’est dans le domaine intelligible ; voilà la comparaison. Il faut considérer chaque élément. Le soleil qui est dit le fils de dieu est la cause de la visibilité des objets, c’est grâce à la lumière du soleil que notre faculté de voir peut connaître ces objets.

Dans le domaine intelligible, c’est l’idée du bien qui permet à l’intelligence qui a la faculté qui nous permet de connaître les intelligibles.

Les objets de la vision, ce sont tous des objets visibles ; les objets de l’intelligence, ce sont tous les objets intelligibles.

À chaque domaine correspond une faculté différente. Pour ce qui est visible : la vue ; pour ce qui est intelligible : l’intelligence.

Glaucon — comment, explique-moi ta pensée ?

Socrate — tu sais que lorsque les yeux se tournent vers les objets qui ne sont pas éclairés par le soleil, mais par les astres de la nuit, ils sont en peine de les discerner. Il semble jusqu’à un certain point atteint de cécité comme s’ils perdaient la netteté de leur vue.

Glaucon — la chose est ainsi.

Socrate — Mais quand il regarde des objets éclairés par le soleil, il voit distinctement et montre la faculté de voir dont ils sont doués.

abbé Néri — Les yeux, quand la lumière du soleil manque, on a l’impression qu’ils fonctionnement mal, comme s’ils étaient frappés de cécité, mais quand il y a la lumière du soleil, alors les yeux voient distinctement et manifestent la faculté de voir, dont ils sont doués.

Socrate — comprends que la même chose se passe à l’égard de l’âme. Quand elle fixe son regard sur ce qui est éclairé par la vérité et par l’être, elle comprend et connaît. Elle montre qu’elle douée d’intelligence, mais lorsqu’elle tourne son regard sur ce qui est mêlé d’obscurité, sur ce qui n’est et périt, sa vue se trouble et s’obscurcit, elle n’a plus que des opinions et passe sans cesse de l’une à l’autre. On dirait qu’elle est sans intelligence.

abbé Néri — voyez c’est une conséquence de la comparaison. Quand l’intelligence se porte vers des réalités concrètes, dont nous avons l’expérience sensible et qu’elle s’y arrête, elle ne peut avoir des objets qu’elle considère qu’une opinion. Une opinion, parce que c’est une opinion variable, changeante, et cet état de l’intelligence fait dire comme on disait à propos des yeux, comme si elle manque d’intelligence.

Je ne sais pas comment en grec on entend le terme « intelligence » étymologiquement, mais en latin, je le sais, et en latin c’est assez éclairant parce que ça permet justement d’aller au-delà des apparences sensibles. En latin, intelligence, intellectus vient du verbe intelligere et l’étymologie, c’est intus-legere ; lire à l’intérieur. Donc rien que ce sens étymologique permet de saisir la différence. Quand l’intelligence s’arrête à ce qui fournit l’expérience sensible, elle ne va pas en profondeur et elle reste dans l’opinion. Donc c’est comme si elle manquait d’intelligence. Et cela est commun, cette manière de considérer la connaissance à Platon et à Aristote. Simplement, il y a une différence, c’est que pour parvenir à cette connaissance intelligible, Platon explique cette opération par la réminiscence. Alors qu’Aristote l’explique par l’abstraction.

Le fait de s’arrêter à la considération des réalités concrètes dont nous avons l’expérience, fait qu’on ne peut rester au stade de l’opinion, et alors la connaissance qu’on a est toujours relative, parce qu’elle est susceptible d’être toujours améliorée. Il y a une conséquence par rapport à la philosophie moderne que je vais vous donner : à la suite de Kant et tous ceux qui sont influencés par cette philosophie subjectiviste, il y a une rupture entre la réalité en elle-même et sa représentation. Kant a des termes pour désigner ces deux aspects de toute chose, il parle de noumènes et phénomènes. Les noumènes désignent ce que la chose est en soi, les phénomènes, la perception que j’ai de la chose en elle-même. Ce que je connais, ce n’est pas la chose en soi, mais la perception que j’ai d’elle. Et donc il y a une rupture. C’est-à-dire, que c’est tout le problème de la philosophie idéaliste, c’est qu’il y a une coupure avec la réalité. On dit que ce que je connais se réduit à la représentation que je m’en fais, et c’est une représentation subjective, donc relative.

Et alors une conséquence de cette philosophie est encore aujourd’hui parce la plupart de nos contemporains sont habitués à penser un peu comme monsieur Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, et bien beaucoup de nos contemporains usent de cette manière de s’exprimer sans savoir quels sont les fondements philosophiques de cette manière de se représenter les choses. Ils sont convaincus qu’il n’y a de science que dans le domaine physique, de ce qu’on appelle le physico-mathématique, parce qu’il y a une vérification par les chiffres, et donc tout ce qui n’est pas vérifiable empiriquement est dit comme non-scientifique. C’est une conséquence qui découle de ce système de pensée idéaliste subjectiviste. Et pour cela que dans le domaine scientifique des sciences expérimentales, il est toujours possible d’avoir une approche différente. On n’affirme pas une vérité définitive et absolue. C’est assez facile à comprendre par rapport à la notion d’opinion qu’avait Platon, cela correspond quelque part à cela, à l’opinion. Alors que la science, la véritable science est une connaissance parfaite dans son genre, c’est-à-dire qu’elle équivaut à la compréhension, on dit que l’on connaît une chose parfaitement quand on la comprend. D’ailleurs, c’est synonyme, comprendre c’est connaître parfaitement. Il y a quelque chose qui nous échappe, on ne comprend pas vraiment. Dans le domaine de la foi, nous avons une connaissance particulière, qui fait que nous avons une certitude de ce que croyons, mais que nous ne comprenons pas, voyez ce qui est particulier à la connaissance par la foi, parce que la connaissance par la foi, se fonde sur ce qu’on appelle une évidence extrinsèque, alors que la connaissance scientiste ne peut reposer que sur ce qu’on appelle une évidence intrinsèque. Dans le domaine de la foi, il est possible d’avoir une science à cause de la certitude, mais pas à cause de la compréhension. Pourquoi ? Parce que l’objet de connaissance propre à la théologie est Dieu, et Dieu nous ne pouvons pas le comprendre, car notre intelligence est limitée et Dieu étant infini, ce n’est pas possible. Nous ne pouvons pas comprendre Dieu, mais nous pouvons en avoir une certaine connaissance, et parce que cette connaissance est certaine, on parle de science, à cause de la certitude, c’est particulier.

Voyez à quel point ces textes riches et très denses par rapport à cette relation entre la faculté qu’est la nôtre, notre intelligence, et les moyens par lesquels on atteint l’objet correspondant. Si on ne passe pas par le côté intelligible, et bien on a une connaissance relative, on ne peut rester qu’au niveau des opinions. L’opinion comparée à la science est comme la vue qui parait affaiblie quand elle n’est pas éclairée par le soleil. Donc c’est l’utilité de la comparaison de nous faire comprendre la nécessité d’aller plus loin, et vous voyez que tous les points de la comparaison sont nécessaires, ce que la lumière du soleil est à la vue, l’idée du bien, l’est pour l’intelligence. Mais cela nécessite encore des explications, tout simplement, de points de repère. Pour que vous puissiez suivre, j’essaie de vous faire ressortir les points les plus importants, mais l’explication se poursuit.

Glaucon consent et il dit oui.

Je vais vous donner une illustration plus théologique que philosophique. Dieu nous a donné une conscience innée du bien ou mal, d’une manière générique. C’est-à-dire qu’on a pas besoin d’être instruit pour percevoir par co-naturalité ce qui est bien et ce qui est mal. Mais en grandissant, on peut obscurcir sa conscience par une vie mauvaise, au point quelquefois d’en devenir complètement aveugle, par choix. Ce qu’on appelle non seulement une conscience erronée, une conscience cautérisée (c’est une métaphore). Et donc au niveau de l’intelligence, se vautrer dans l’erreur, a comme conséquence une plus grande difficulté à exercer la faculté. À force d’être entêté dans l’erreur, on devient stupide.

Socrate — tiens donc pour certain que ce qui répand sur les objets de la connaissance la lumière de la vérité, ce qui donne à l’âme qui connaît la faculté de connaître, c’est l’idée du Bien. Considère cette idée comme le principe de science et de la vérité en tant qu’elle tombe sous la connaissance et quelque belle que soit la science et la vérité, tu ne te tromperas pas en pensant que l’idée du Bien en est distincte et les surpasse en beauté →

abbé Néri — c’est un texte très dense qui nécessite encore une fois quelques explications. Mais retenez bien votre attention sur l’aide de la comparaison. L’idée du bien dans la comparaison est l’équivalent de la lumière du soleil. Les intelligibles, ce sont les objets de connaissance, et la science c’est la connaissance qu’on a de ces objets. Si l’idée du bien est ce qui vous permet de parvenir à la science, ce sont deux choses différentes, c’est important à retenir, la distinction entre l’idée du bien et la science. L’idée du bien, c’est ce qui nous permet d’arriver à la science, et alors quand on connaît quelque chose, on dit que notre connaissance est vraie. Alors on peut dire que la vérité est la connaissance juste des objets qu’on connaît. Le mot important dans cette manière de le dire, c’est : juste. Il y a une définition de la vérité que St Thomas reprend à partir de la pensée d’Aristote, mais qui ne s’oppose pas à ce que nous sommes en train de voir ici.

En latin c’est adéquas rei is intellectus : l’adéquation de l’intelligence à la réalité. C’est-à-dire que la connaissance que j’ai d’une chose correspond à ce qu’elle est. Contrairement à la philosophie idéaliste, ma connaissance ne se réduit pas à une simple représentation que je me fais de la réalité, voyez la nuance est importante. Le propre de la science, c’est de me faire parvenir au vrai, ni la réalité est la même chose que la science, ni la science est la même chose que le bien, voyez c’est 3 réalités différentes. Si l’en est ainsi, si belle qu’est la science et la vérité, l’idée du bien lui est supérieure. Attention cela est relatif parce que cela est vrai pour nous, mais cela n’est pas vrai en Dieu, la vérité et la science et le bien, tout est UN. Voyez, il ne faut pas tout mêler.

Question : pourquoi l’idée du bien et pas le bien ?

Réponse : Parce que dans la pensée de Platon, le bien en soi est Dieu, et donc comme Dieu est inconnaissable, c’est l’idée du bien qui est le fils de Dieu. Voyez, dans l’analogie, ça se comprend. Vous voyez que lorsqu’on lit ce texte, il ne faut pas être pressé, sinon on passe à côté.

→ tu ne tromperas pas en pensant que l’idée du Bien est distincte et le surpasse en beauté de la science et de la vérité. En effet →

abbé Néri — voyez la comparaison porte, parce que ce qui nous est le plus familier fait ressortir avec puissance les différences.

→ en effet, comme dans le monde visible on a raison de penser que la lumière et la vue ont de l’analogie avec le soleil, mais qu’il serait déraisonnable de prétendre qu’elles sont le soleil : de même, dans l’autre sphère, on peut regarder la science et la vérité comme ayant de l’analogie avec le bien ; mais on aurait tort de prendre l’une ou l’autre pour le bien lui-même qui est d’un prix tout autrement relevé.

Sa beauté doit être au-dessus de toute expression, puisqu’il produit a science et la vérité, et qu’il est encore plus beau qu’elles. Aussi n’as-tu garde de dire que le bien soit le plaisir.

abbé Néri — voyez comme c’est magnifique. C’est pour cela, si vous voulez, la pensée de Platon qui prolonge celle de Socrate est comme un marchepied pour ceux qui l’on suivie, cela leur a permis d’aller ensuite plus loin. C’est indispensable, il fallait fournir tout ce travail à l’intelligence pour progresser dans la connaissance de ces vérités si élevées, en philosophie d’abord, et ensuite dans ces domaines de la théologie dans laquelle beaucoup de ces idées philosophiques sont en harmonie avec la Révélation. Sa beauté doit être… voyez, on croirait lire Saint-Denis, ce qu’il veut dire, c’est surtout ne confond pas l’idée du bien avec le plaisir.

Glaucon — À Dieu me plaise !

Socrate — mais considère son image avec plus d’attention et de cette manière.

Glaucon — comment ?

Socrate — tu ne penses sans doute comme moi, que le soleil en rend pas seulement visibles les choses visibles, mais qu’il leur donne encore la vie, l’accroissement et la nourriture, sans être lui-même la vie.

Glaucon — oui.

Socrate — de même tu dire que les êtres intelligibles ne tiennent pas seulement du bien ce qui les rend intelligibles, mais encore leur être et leur essence, quoique le bien lui-même ne soit point essence, mais quelque chose fort au-dessus de l’essence en dignité et en puissance.

L’ousia

l’ousia, est-ce une essence ou une substance ?

abbé Néri — je reconnais que ça n’est pas si facile à comprendre ce qui vient d’être dit, parce que c’est un condensé de toute la philosophie de Platon qu’on a là, je vais essayer. De même, tu peux dire que les êtres intelligibles… Alors ce qu’il faut préciser pour comprendre ce texte, c’est le terme ici en français : « essence ». Et là, il y a une différence énorme avec le texte grec. Je vous préviens, le mot qu’on trouve dans le texte grec, c’est Ousia. L’Ousia ne correspond pas exactement au terme « essence » en français. Le texte français rend la phrase plus difficile que le texte grec. Le terme Ousia signifie « ce qui est concrètement » c’est-à-dire la substance. Et donc la différence est énorme parce que dans les réalités créées, tous les êtres créés sont composés d’essence et d’existence. Alors qu’en français, essence désigne une part de la réalité et pas la totalité.

Reprenons ci-dessus — de même, tu peux dire que les êtres…  : ce qu’il veut dire par là, et là c’est un condensé de la philosophie de Platon, c’est que tous les êtres « sont » par une participation à l’être en soi, et leur réalité déterminée, c’est-à-dire que l’essence peut être employée pour exprimer la définition d’un être, c’est-à-dire dire ce qu’il est, et donc si je parle de déterminisme, il y a dans les êtres, en premier, pour les différencier, une essence qui n’est pas la même. L’essence de l’homme, c’est d’être rationnel. Voyez c’est quelque chose de précis de ce qui définit l’homme. Ensuite, il peut y avoir d’autres déterminations, mais que compte tenu de l’ensemble des déterminations possibles, vont faire partie de la définition d’un être. Par exemple, un homme, sa différence est spécifique, c’est d’être rationnel, d’être raisonnable, mais il peut être grand, gros, chauve, barbu, noir… et donc quand on défini, on peut donner une définition de cette descriptive. Je ne connais pas l’essence d’une manière positive, par rapport à l’homme, ce qui fait sa différence spécifique, c’est qu’il est rationnel, mais de certains animaux on se contente de donner une description, un chien n’est pas un chat, mais pour faire la différence, on fait une liste de ce qui propre au chat et de ce qui propre au chien. Vous voyez que du côté de l’essence, il faut pour que ce soit un peu clair dans votre esprit penser à ce qui définit un être concret, toutes ses qualités, tout ce qui fait ce qu’il est. Et quand ici, on lit être, cela correspond à l’existence. Je relis les textes : de même tu peux dire que les êtres intelligibles ne tiennent pas seulement du bien, ce qui les rend intelligibles, mais encore leur être et leur essence. Peut-être pour que ce soit plus clair dans votre esprit, vous pouvez mettre : leur donne leur existence et leur essence.

Participation des idées

Selon Platon, les objets participent aux idées, il y a relation.

Continuons à expliquer : dans la philosophie de Platon, il y a une idée universelle qui comporte tout ce qui définit un être en tant que tel en dehors des accidents. Et tous les êtres concrets singuliers que nous connaissons, sont des participations de cette idée universelle. Et puis au niveau de l’existence, chaque être concret existe grâce à la participation qu’il a à l’être du bien, pour nous à l’être de Dieu. Il y a beaucoup de distinctions à faire à ces précisions, mais globalement, c’est ça. Mais il y a une correspondance, c’est-à-dire qu’il remonte jusque là. Ce qui rend intelligible un être, c’est ce qui le défini : l’essence. Et ça, c’est par participation au bien en soi, et puis concrètement si ces êtres existent, c’est parce qu’ils participent de l’être en soi, qu’est le bien. Là, on voit que Platon va jusqu’à concevoir l’unicité de Dieu, ce qui est compatible avec le polythéisme. Voyez aussi l’importance des métaphores, pour voir mieux les différences qui nous échappent dans la pure abstraction, quand on a pas l’habitude, le recours à l’image est très fort.

Glaucon — Grand Apollon, s’écria Glaucon en plaisantant, voilà du merveilleux.

Socrate — c’est ta faute aussi : pourquoi m’obliger à dire ma pensée sur ce sujet ?

Glaucon — n’en demeure pas là, je te prie, mais achève la comparaison du bien avec le soleil, si tu n’as pas tout dit.

Socrate — vraiment non, je n’ai pas tout dit.

Glaucon — n’omets pas le moindre trait.

Socrate — il m’en échappera beaucoup, je crois ; mais, avant que je le pourrai en cette circonstance, je ne passerai rien volontairement.

abbé Néri — je suis en admiration devant la retenue et l’humilité intellectuelle de Socrate. Autant quelqu’un qui est borné et qui s’enferme dans la sottise m’exaspère, autant quelqu’un qui fait preuve de modestie, de retenue dans l’exercice de l’intelligence me provoque de l’admiration. Mais évidemment c’est difficile de ne pas admirer un génie tel que celui de Socrate et de Platon.

Glaucon — fait comme tu dis.

Socrate — Conçois donc qu’ils sont deux, le bien et le soleil : l’un est roi du monde intelligible ; l’autre, du monde visible ; je ne dis pas du ciel, de peur que tu ne croies qu’a l’occasion de ce mot, je veux faire une équivoque. Voilà par conséquent deux espèces d’êtres, les uns visibles, les autres intelligibles.

Glaucon — fort bien.

Socrate — Soit, par exemple, une ligne coupée en 2 parties inégales : coupe encore en deux encore en deux chacune de ces deux parties, qui représentent l’une le monde visible, l’autre le monde intelligible ; et ces deux sections nouvelles représentant la partie claire et la partie obscure de chacun de ces mondes …

Le sectionnement de la ligne

Après l’analogie du bien et du soleil, Platon développe les degrés d’être et en parallèle, les degrés de la connaissance par analogie avec une ligne segmentée en 2 parties inégales

abbé Néri — revenons, si vous le voulez bien. Une ligne coupée en 2 parties inégales, une plus longue que l’autre. À quoi cela correspond dans la comparaison ? À deux domaines : le domaine visible et le domaine intelligible. La partie coupée par la partie la plus grande correspond au domaine intelligible et la partie la moins grande au domaine visible. Ensuite vous coupez chaque partie en deux. Il faut retenir que chaque côté est partagé dans un côté lumineux et un côté obscur.

…tu auras pour l’une des sections du monde visible, les images. J’entends par images, premièrement les ombres ; ensuite les fantômes représentés dans les eaux sur la surface des corps opaques, polis et brillants, et toutes les autres représentations du même genre. Tu vois ce que je veux dire.

abbé Néri — cela correspond dans la partie visible, du côté clair et comme il faut avancer pas à pas, ce qu’on voit, c’est l’image des choses. Commençons par là, il y a le monde visible, ce que l’on voit, c’est une vue que notre vue perçoit et cette image correspond ; c’est là que par le terme qu’on emploie rend la compréhension ou l’intelligence pour être plus précis, plus difficile. L’image est comparée à son tour à une ombre. Et puis, au-delà de cette ombre, fantômes… notez la succession : image, ombre, fantômes ; qui ne se recouvrent pas complètement, puisque Socrate dit en parlant des images : commençons par l’ombre et ensuite les fantômes, il y a une différence entre les 2. Pour le moment, pour pouvoir avancer, il suffit de retenir cette distinction pour savoir ensuite de quoi cela correspond, mais déjà il faut qu’il soit clair dans l’esprit qu’il s’agit d’une distinction : image, ombre, fantôme.

Glaucon — oui.

Socrate — l’autre section te donnera les objets que ces images représentent, je veux dire les animaux, les plantes et tous les ouvrages de l’art comme de la nature.

Glaucon — je conçois cela

Pourquoi ? Parce qu’il était familiarisé avec l’enseignement de Socrate.

Revenons un petit peu avant quand Socrate parlait en suivant la comparaison qu’il avait fait que le bien ou l’idée du bien ne se réduit pas à nous permettre de connaître les objets intelligibles, mais qu’en plus il fallait considérer que les êtres en tant que tel, ces êtres-là sont parce qu’ils participent de cette idée du bien. Je le dis d’une manière plus courte : grâce au bien, il n’est pas simplement possible de connaître les objets intelligibles, mais c’est grâce à lui qu’ils le sont, qu’ils existent, qu’ils sont ce qu’ils sont. Alors, vous trouvez la correspondance ici, quand on considère ces objets.

« L’autre section te donnera les objets que les images représentent, je veux dire, les animaux, les plantes et tous les ouvrages de l’art comme de la nature ».

Donc il y a une correspondance entre ces deux sections, il y a les êtres tels qu’ils sont : concrets, et puis de l’autre côté, il y a leur image. Leur image, l’ombre et les fantômes. Voyez le rapport par la métaphore.

La réalité concrète est le support de l’ombre qui en résulte, c’est important de noter le rapport entre les deux. C’est une manière d’exprimer la correspondance entre la réalité telle quelle est, et l’image qui la représente.

Glaucon — je conçois cela.

Socrate — veux-tu qu’à cette division du monde visible soit substituée celle du vrai et du faux de cette manière : l’opinion est à la connaissance ce que l’image est à l’objet.

abbé Néri — là encore pour entendre, saisir, le rapport, il ne faut pas s’encombrer l’esprit de choses trop nombreuses, il y a quelque chose de tout à fait précis. L’opinion est une connaissance imparfaite aussi faible qu’une ombre ou une image peut l’être par rapport à la réalité qui leur correspond. Voyez le rapport : l’opinion correspond à l’image et la science à la réalité telle quelle est.

Glaucon dit : j’y consens

Socrate — voyons à présent il faut diviser le monde intelligible.

Glaucon — comment ?

Socrate — en deux parts, dont l’âme n’obtient la première qu’en se servant des données du monde visible …

abbé Néri — très important. Dans la première section, l’âme ne peut agir qu’en se servant des données du monde visible.

… que nous venons de diviser, comme d’autant d’images, en partant de certaines hypothèses, non pour remonter au principe, mais pour en descendre à la conclusion ; tandis que pour obtenir la seconde, elle va de l’hypothèse jusqu’au principe qui n’a besoin d’aucune hypothèse, sans faire aucun usage des images comme dans le premier cas, et en procédant uniquement des idées considérées en elles-mêmes.

abbé Néri — deux exercices de l’intelligence qui sont différents, il y a comme un escalier pour arriver. Le point de départ c’est ce qui tombe sous les sens, dans le premier domaine, ce qui est visible. Alors à partir de ce qui est visible l’intelligence se sert des images et dit Socrate, non pas pour essayer de remonter de l’image à son principe, mais en le considérant comme la conclusion, comme le terme de ce principe, parce que les réalités concrètes sont des faits, voilà ce que cela veut dire. Donc il faut les considérer comme la conséquence. Et ensuite dans l’autre partie elle va de l’hypothèse jusqu’au principe qui n’a besoin d’aucune hypothèse, sans faire aucun usage des images comme dans le premier cas et en procédant uniquement des idées considérées en elles-mêmes. Ce qui rend difficile ce texte dans la traduction de Cousin, c’est qu’il est répété le terme hypothèse d’une manière qui obscurcit le sens. La première démarche, c’est à partir des réalités sensibles qui permettaient d’arriver à considérer les choses comme l’effet d’une cause et cela permet de faire des hypothèses des opinions. Dans la deuxième partie de cette opération de l’âme, le point de départ n’est pas l’image, mais l’hypothèse, pour remonter au principe. Le principe est l’idée de chaque être en elle-même, l’idée en soi. Et cette idée en soi n’est pas une hypothèse, voyez c’est cela qui est un peu difficile dans le texte. Le point de départ pour arriver, c’est partir d’une hypothèse, mais une fois qu’on arrive à l’idée en tant que telle, cette idée n’est pas une hypothèse, mais la réalité telle qu’elle est. Et ensuite l’âme considère les idées en elles-mêmes et tout le travail intellectuel se situe à ce niveau-là, à ce moment-là. C’est dans la philosophie d’Aristote, c’est à ce niveau-là que se situe le travail de l’abstraction, de la réflexion. Aller d’un point à un autre dans la philosophie de Platon, c’est contempler les idées et leurs rapports, dépouillés de tout le reste. C’est pour cela que le terme en soi est important.

Dans le système d’Aristote, la connaissance sensible offre le point de départ de l’abstraction pour parvenir à une connaissance intelligible et justement dans la philosophie d’Aristote, les produits de la connaissance sensible sont ce qu’on appelle un fantasme. Les scolastiques emploient pour éviter l’équivoque le terme de spes (en latin) pour dire qu’à partir de là on va parvenir à l’intelligible, mais il y a une ascension de cette réflexion de Socrate et de Platon pour expliquer le passage du sensible à l’intelligible.

Retenez les différences : au niveau de l’intelligible, il y a deux moments, le premier, c’est un raisonnement qui correspond à l’induction, c’est-à-dire partir d’une hypothèse et remonter au principe, le deuxième qui est la partie la plus élevée, la plus difficile, c’est la contemplation des idées en soi et les rapports entre elles.

Glaucon dit : je ne comprends pas bien ce que tu dis.

Alors moi, Abbé NÉRI, je vais vous dire comme Socrate, même si je ne suis pas Socrate : patience, patience.

Socrate — patience, tu le comprendras mieux après ce que je vais dire. Tu n’ignores pas, je pense, que les géomètres et les arithméticiens supposent deux sortes de nombres, l’un pair, l’autre impair, les figures, trois espèces d’angles et ainsi du reste, selon la démonstration qu’ils cherchent : que ces hypothèses une fois établies, ils les regardent comme autant de vérités que tout. Le monde peut reconnaître, et n’en rendent compte ni à eux-mêmes ni aux autres ; qu’enfin partant de ces hypothèses, ils descendent, par une chaîne non interrompue, de proposition en proposition jusqu’a la conclusion qu’ils avaient dessein de démontrer.

abbé Néri — j’arrête là.

510 C

 

En ce temps-là, au cours du repas que Jésus prenait avec ses disciples, il fut bouleversé en son esprit et il rendit ce témoignage :"Amen amen, je vous le dis : l'un de vous me livrera."